Droits humains, Web et résistance pacifique dans les Territoires occupés

Octobre 2010 : La grande protestation de Gdeim Izik 
qui traverse les frontières avec l’internet clandestin

Nous avons pris connaissance de Gdeim Izik, à la mi-octobre 2010, avec des images vidéo transmises par deux militants français, entrés clandestinement dans le camp, et ayant réussi à nous faire passer ces images incroyables ! Des milliers de tentes, rassemblées dans le désert, à une quinzaine de km d’El Aïoun, des Sahraouis de tous les âges, réunis, affairés et heureux… On se sent libres disaient-ils à cette caméra amie et clandestine.
Combien de tentes ? Combien de personnes ? 20 000, 25 000, venues d’El Aïoun puis de tout le Sahara occupé.

Ces images transmises via internet alors que le Maroc empêchait la présence des médias, n’ont pas été assez vues. Ce qui aurait du être l’étincelle de l’automne arabe a été étouffé par un démantèlement musclé, démarré le 8 novembre. Mais les Sahraouis présents n’ont pas oublié la leçon et ont développé l’outil pour enfin briser le mur de l’indifférence du monde !

Casser le blocus médiatique marocain et informer le monde extérieur des violations
des droits de l’homme

Depuis le campement de Gdeim Izik de 2010, la scène web sahraouie est en ébullition et offre au monde une fenêtre sur l’actualité sociale et politique des territoires occupés, mais aussi et surtout sur la violence quotidienne que les autorités marocaines font subir à la population sahraouie. Cette scène web s’est constituée dans la décennie 2000, portée par de jeunes Sahraouis collégiens, lycéens ou jeunes diplômés, armés d’un courage inouï, dont le seul objectif était de briser le blocus communicationnel et médiatique auquel la région était soumise et de montrer le caractère pacifique et non-violent de leur combat :

« Le début ce sont les « chambres de discussion » PalTalk. L’internet est venu plus tardivement qu’ailleurs chez nous, raison pour laquelle les gens ont été immédiatement captivés par cette technologie. Il y a eu notamment une grande chat room qui s’appelait « Western Sahara ». C’était essentiellement des discussions politiques. Puis, entre 2003 et 2005, on a vu apparaître des sites électroniques, comme « les cahiers du Sahara »… Ensuite, lors de la manifestation du 21 mai 2005 (Intifâda de l’Indépendance), l’internet a permis de montrer au monde le visage des autorités marocaines au Sahara. Après 2005, nous avons commencé à diversifier nos domaines d’action : culturel, ressources naturelles, politique, droits de l’homme… L’internet nous a procuré un vaste espace d’expression et une ouverture sur l’extérieur, difficile à contrôler par le Maroc (contrairement au téléphone) ».

Un militant sahraoui de l’ASPDCPS

Plus récemment, c’est la grande manifestation du 4 mai 2013 à Laayoune, suite à la demande des USA d’élargissement du mandat de la MINURSO à la surveillance des Droits de l’homme, qui avait comme à Gdeim Izik complètement pris de cours les autorités marocaines, qui a créé l’événement sur la toile et constitué une nouvelle étape dans la mobilisation publique dans les territoires occupés.

Immense espoir 
suscité par la RASD TV !

Le grand tournant dans la jeune histoire de la scène web sahraouie est en fait venu de la création de la RASDTV (mai 2009), chaîne de télévision officielle qui est diffusée depuis les camps de Tindouf, captée via les antennes paraboliques ou via le net. Cette chaîne a assez vite permis aux jeunes cyberactivistes de diffuser des images et des reportages sur la situation dans les territoires occupés du Sahara occidental, en particulier des scènes de répression dans la rue, des témoignages de personnes torturées, battues, emprisonnées, et ce dès les événements de Gdeim Izik, qui ont remis la situation des Sahraouis sous les projecteurs de la communauté internationale. Cette production quasiment en temps réel d’informations brutes procure également une opportunité sans précédent d’archivage des actes de violation des droits de l’homme commis par l’État marocain au Sahara occidental. Ce nouveau média a aussi permis d’élargir significativement les destinataires de cette production web :

« Avant le démarrage de la RASD TV en 2009, la catégorie d’âge qui réagissait sur le Web c’étaient les jeunes, mais après la création de RASD TV, toutes les couches sociales et classes d’âges ont pu être touchées. »

Une reporter de la TV RASD à Laayoune

Si la production de documents web sur la répression dans les territoires occupés, de plus en plus professionnelle à l’image de l’agence Equipe Media, est avant tout destinée à éclairer le monde extérieur sur la situation des droits de l’homme dans la région, en passant par différents canaux de diffusion comme You Tube et Facebook, relayés ensuite par les agences de presse du Front Polisario, de l’Algérie, ou d’Europe, la RASDTV semble pour sa part tournée avant tout vers la société sahraouie, des camps de Tindouf, des territoires occupés et de la diaspora. Cette chaîne de télévision, dont une partie des programmes est diffusée en castillan, est aujourd’hui énormément suivie au sein des foyers sahraouis des territoires occupés : elle informe ces derniers de la vie dans les camps, les Sahraouis des camps de la situation politique dans les territoires, elle fait circuler des nouvelles et des productions artistiques qui passaient jadis par le biais de l’historique radio de la RASD.

Une vitrine de la barbarie
de l’occupant…
et de la non-violence des Sahraouis

Les documents web produits quasi quotidiennement par les jeunes cyber- journalistes sont essentiellement des images de répression de manifestations ou de sit-in, des « directs » depuis ces manifestations, des interviews réalisées auprès de militants (qui ont tous connu la prison et la disparition de proches), mais aussi des reportages sur des réunions organisées par des associations sahraouies suite à la disparition de militants ou lors de la libération de détenus politiques, de commémorations de martyrs récemment disparus.

Cette production accablante pour les autorités marocaines change-t-elle pour autant la donne sur le terrain ? Les forces de l’ordre marocaines sont- elles plus soucieuses de leur image sur le web et réduisent-elles pour autant leur répression aveugle ?

« Année après année, le militantisme [dans les territoires occupés] prend de l’ampleur et a décollé après le démantèlement sauvage du campement du GI parce que le facteur de la peur n’existe plus. Mais parallèlement à la montée en puissance du militantisme, le Makhzen a accru sa répression. (…) dès que l’on met en ligne le témoignage d’une victime sur le site [de notre organisation], le Makhzen prend contact avec la victime, et l’oblige par la force, soit en lui donnant des « encouragements », soit en l’accusant de délits et en la menaçant d’emprisonnement, à revenir sur son témoignage. Ça arrive souvent… »

Une militante des droits de l’homme à Laayoune

De plus en plus souvent néanmoins, on voit sur le Net les forces de sécurité marocaines, et leurs miliciens, regarder sur les toits des bâtiments qui encadrent les rues où ont lieu les rassemblements sahraouis qu’elles viennent réprimer, pour dénicher d’éventuels preneurs d’images. Ces images de violence ne font paradoxalement qu’affirmer haut et fort l’engagement des Sahraouis en faveur de la non-violence.

Créativité et autoformation des jeunes Sahraouis par le web

Cette production web, qui ne doit son existence qu’au courage de la jeunesse militante, illustre la grande ingéniosité et la créativité des militants sahraouis, privés de moyens, dans la fabrication de ces vidéos et de ces web-reportages. Tous ont appris leur activité de technicien informatique, de webmaster, de journaliste, de caméraman, de photographe, de preneur de son sur le terrain, avec l’aide de leurs « frères » et « sœurs » militants, ou via les systèmes d’autoformation proposés par les sites comme You Tube. De même, les activistes de différentes associations sahraouies s’accordaient pour affirmer que le Web leur avait permis de se spécialiser dans un domaine de militance (droits humains, ressources naturelles, patrimoine culturel, information, …) par l’acquisition de connaissances et de compétences spécifiques, juridiques notamment, via l’internet, pour une meilleure visibilité et un plus grand professionnalisme face aux organisations internationales.

Le prix très lourd payé
 par les Sahraouis
 dans leur combat pour l’information

Ne nous y trompons pas cependant, ce dynamisme de la scène web sahraouie ne laisse évidemment pas les autorités marocaines indifférentes et passives. Les cyberactivistes et journalistes des territoires occupés sont aujourd’hui, avec les représentants d’associations militantes sahraouies, les cibles privilégiées de la haine d’État. A titre d’exemple, parmi les vingt-quatre prisonniers politiques de Gdeim Izik, deux sont des journalistes d’Equipe Media, Bachir Khaddah et Hassan Dah, condamnés respectivement, après deux ans de détention préventive, à 20 et 30 ans de prison. Un autre journaliste, Hassana Aliyya, arrêté le 11 décembre 2011 et relâché après trois jours d’interrogatoire en garde-à-vue, sera finalement condamné par contumace à la perpétuité avec le groupe des prisonniers de Gdeim Izik. En juillet dernier, le journaliste de la RASD TV Haissan Mahmoud est arrêté et est aujourd’hui en attente de « jugement » à Laayoune.

Les jeunes femmes sahraouies, qui sont à la pointe du combat pour la liberté d’expression au Sahara occidental, font particulièrement les frais de la répression, à l’image des jeunes web-journalistes de la RASDTV : « Même si les autorités marocaines hésitent [aujourd’hui] à mettre en prison des femmes journalistes à cause des projecteurs de la scène internationale, nous sommes toujours menacées et nous nous attendons d’un jour à l’autre à être kidnappées. On peut même te créer un accident de la route avec un Marocain [pour t’atteindre physiquement] et dire que c’est un simple accident de la circulation. Le Makhzen fait beaucoup ce genre de chose. »

une cyberactiviste de Laayoune

Mais la violence de l’occupant ne s’arrête pas au tabassage aveugle des militants, à leur emprisonnement et au saccage de leurs maisons, elle passe aussi aujourd’hui par des « sites d’information » aux ordres du Makhzen dont l’objectif n’est autre que de diffamer et insulter ces jeunes cyberactivistes sahraouis, attentant, par le verbe cette fois, à leur intégrité morale et à celle de leurs proches, déjà maintes fois éprouvée, et à leurs valeurs. La dignité des jeunes femmes reporters de la RASD TV est particulièrement visée par ces sites orduriers.

Une culture sahraouie bien vivante aujourd’hui sur le Web

Dans les territoires, la culture sahraouie est de plus en plus marginalisée et ses valeurs bafouées. La khayma (tente), symbole des valeurs d’honneur, de solidarité et d’hospitalité des Sahraouis, est interdite dans les réunions publiques, sauf lorsque celles-ci sont organisées par le pouvoir marocain, inter- dite sur les plages où les Sahraouis aimaient à aller séjourner l’été, interdite même sur les toits des maisons pendant le Ramadan. La langue hassâniyya semble également en perte de vitesse, tant la langue des colons marocains et l’arabe des médias tendent à s’imposer, via notamment un système scolaire décourageant les enfants sahraouis de parler leur langue maternelle. Cette acculturation planifiée est à peine dissimulée par un vernis folklorique que les agences de développement et d’information marocaines entretiennent sournoisement.

Cette politique marocaine d’extinction programmée de la culture sahraouie dans les territoires occupés, y compris lorsqu’elle passe par un investissement et un arsenal patrimonial hors du commun, est subtilement contournée par la jeunesse sahraouie qui s’abreuve au quotidien des productions des poètes des camps de réfugiés de Tindouf, qui rivalisent dans l’excellence artistique et diffusent leurs œuvres sur You Tube et Facebook, qui circulent ensuite de l’autre côté du Mur.

Les camps de réfugiés de Tindouf jouant indéniablement aujourd’hui un rôle de conservatoire de la culture, des arts, et de la langue sahraouis, la RASD TV est très vite devenue un canal de transmission essentiel, aux jeunes générations notamment, des savoirs et des valeurs chères au peuple sahraoui, mais donnant aussi libre cours aux nouvelles formes d’expression que sont par exemple le théâtre et la chanson populaire. Par ailleurs, certains inter- nautes, en recourant exclusivement à la langue hassâniyya sur leurs pages facebook se font des acteurs très importants de la préservation de la langue et de l’identité sahraouies, non pas dans une version patrimoniale, mais dans une forme bien vivante car libre.

« La culture n’est qu’un front ouvert, au même titre que les autres fronts, pour aider et faire avancer la cause sahraouie. »

un membre de l’ASPDCPS

« Notre association a créé une émission de poésie enregistrée dans les territoires occupés et intitulée khayma-tl-adab wa t-taqâfa,« La tente de la littérature et de la culture ». Ce programme a été influencé par le programme de Bechir [Ould Ely, célèbre poète et animateur radio des camps de Tindouf]. C’est une émission qui […] est diffusée mensuellement. Ce mois-ci, l’émission n’a pas pu se faire. Et le thème de l’émission devait être « la littérature de/en prison ». Ce programme est diffusé sur la TV RASD, une partie à la radio nationale, et aussi par la chat room PalTalk « Sowt el-intifâda ». L’objectif de ce programme c’est la communication, ainsi, par exemple on reçoit des poèmes de Tindouf qui sont diffusés dans notre émission enregistrée à Laayoune. Et ça c’est un objectif (important) de notre association, c’est la communication entre les deux bords du Sahara [occidental]. Nos activités sont aussi diffusées sur notre page Facebook ».

Une littérature sahraouie sans frontières

Fleuron de la culture sahraouie, la poésie est aujourd’hui de mieux en mieux diffusée hors du Sahara, grâce au rôle d’ambassadeurs très important joué par certains écrivains, journalistes et poètes sahraouis, comme Bahia Mahmud Awah ou Limam Boicha, qu’il s’agisse de compositions en arabe classique, en castillan ou, plus rarement, en français. A ce titre, la création du partenariat entre la RASD et l’Harmattan a donné un indéniable élan à cette diffusion, tant pour les poètes vivant dans les camps de Tindouf que pour ceux installés dans les territoires occupés. Les frères Hamza (poème ci-dessous) et Malainin Lakhal, séparés physiquement par le Mur, sont à ce titre emblématiques de cette vigueur de la poésie sahraouie écrite et composée en langue arabe dont la diffusion passe avant tout par le net et notamment l’Union des Journalistes et écrivains sahraouis (UPES).

Mais c’est évidemment la poésie déclamée, dans la pure tradition orale sahraouie, qui a le plus de succès sur le web et qui se diffuse comme une trainée de poudre via les smartphones et Facebook, y compris dans les territoires occupés où certains poètes comme Ali Bujlal n’hésitent pas à déclamer leurs compositions sur la place publique et ce jusqu’à Rabat ! Des poètes souvent adulés, au verbe mobilisateur, qui sont les premiers gardiens de leur culture et qui ne manquent jamais d’appeler la jeunesse et les étudiants à se battre à leur tour pacifiquement pour leur dignité.


Supplément Sahara info 166/167 – Novembre 2014
Droits humains, Web et résistance pacifique dans les Territoires occupés