Accords UE-MAROC : le combat pour la souveraineté du peuple sahraoui sur ses ressources naturelles

Des accords en violation du droit international

Ces accords entre l’Union européenne et le Maroc sont au nombre de trois :

  • Un accord d’association signé en 1996 et entré en vigueur en 2000. En octobre 2008, sous la présidence française de l’UE, le Maroc s’est vu reconnaître un « statut avancé ». Ce statut « vise à un approfondissement des relations politiques, une intégration au marché intérieur par un rapprochement réglementaire, une coopération sectorielle et une dimension humaine. »
  • Un accord de libéralisation des produits de l’agriculture et de la pêche (« accord agricole ») adopté en 2012 – C’est contre la signature de cet accord que José Bové, le rapporteur, a bataillé pendant 3 ans.
  • Un nouvel accord de partenariat dans le secteur de la pêche (« accord de pêche ») a été signé en juillet 2013 (après 4 années de rebondissements en raison d’une forte opposition au Parlement européen), et finalement ratifié en décembre 2013 par ce dernier.

Le Front Polisario saisit la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE)

« Depuis l’adhésion de l’Espagne à la Communauté européenne, les dirigeants sahraouis se sont toujours opposés à l’inclusion du Sahara occidental dans les accords européens avec le Maroc » souligne Maître Devers, qui défend le dossier pour le Front Polisario à la CJUE.

Suite à la signature de l’« accord agricole » de 2012, le Front Polisario introduit une plainte contre cet accord auprès de la Cour de Justice de l’Union européenne. Il en fera de même contre l’« accord de pêche » signé en 2013.

La CJUE déclare l’illégalité de « l’accord agricole » de 2012

Le 15 décembre 2015, le Tribunal de justice de l’Union européenne annule cet accord au motif qu’il s’applique au Sahara occidental, territoire non autonome. C’est une victoire pour le droit international!

Devant la « grande colère » du Maroc, qui annonce geler ses relations avec l’UE suite à la décision du 15 décembre, le Conseil européen et la Commission européenne introduisent en avril 2016 un recours contre l’annulation de l’accord. 5 pays membres de l’UE soutiennent ce recours : la France et l’Espagne au premier chef, mais aussi l’Allemagne, la Belgique, et le Portugal. Le Maroc, lui, est représenté par la COMADER (Confédération marocaine de l’agriculture et du développement rural) rassemblant des associations de producteurs agricoles et agro-industriels marocains. L’audience à la CJUE a lieu le 19 juillet 2016. La décision est en attente pour novembre 2016.

En septembre 2016, l’avocat général de la CJUE rappelle le droit international

« Dans ses conclusions lues ce jour, l’avocat général Melchior Wathelet considère que le Sahara occidental ne fait pas partie du territoire du Maroc et que […] ni l’accord d’association ni l’accord de libéralisation ne lui sont applicables ». De plus, « le Conseil a manqué à son obligation d’examiner tous les éléments pertinents des circonstances de la conclusion de l’accord de libéralisation […] il aurait dû prendre en compte la situation des droits de l’homme dans ce territoire ainsi que l’impact potentiel de l’accord sur cette situation » (communiqué presse CJUE n° 94/16 du 13/09/2016). Bien sûr, le texte de 70 pages de l’avocat général, très technique, soulève plusieurs points juridiques toujours en débat. Mais une remarque attire l’attention du Front Polisario et des observateurs : l’avocat général estime, et ce en dépit des preuves apportées, que l’accord n’est pas appliqué au Sahara occidental !

Culture de tomates sous serres à Dakhla

Le débat juridique est cependant clarifié en faveur du Front Polisario

 

  • Le Sahara occidental ne fait pas partie du territoire marocain.
  • Le Maroc n’a aucun droit de souveraineté sur ce territoire non autonome ; il n’a non plus aucun mandat international pour l’administrer (la notion de « puissance administrante de facto » à laquelle l’UE a fait semblant de croire n’existe pas juridiquement) ; le Maroc est donc une puissance occupante au sens du droit international humanitaire. (En droit, l’Espagne reste la puissance administrante de jure, mais elle a failli à toutes ses obligations depuis 1976.)
  • Le Front Polisario, seul représentant du peuple sahraoui, est un mouvement de libération nationale doté de la personnalité juridique internationale.

Le combat juridique se poursuit

Même si le rappel du droit international a été très clair, des points juridiques restent en suspens.

La plainte du Front Polisario est-elle recevable ? 


Le traité européen prévoit le recours en justice mais les conditions de recevabilité sont très strictes, et il faut juger si le Front Polisario est “directement“ et « individuellement” concerné par l’accord contesté. Maître Devers rappelle que le droit à l’autodétermination englobe le principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles, et que d’autres mouvements de libération nationaux ont défendu les intérêts commerciaux des peuples non autonomes, par exemple le FLN lors des accords d’Evian et l’OLP lors des accords d’Oslo.

L’accord est-il appliqué au Sahara occidental ?

La déclaration de l’avocat général selon laquelle cet accord n’était pas appliqué au Sahara occidental a créé la surprise ! En effet, la Commission elle-même a fourni dans le dossier des éléments qui vont dans le sens de l’application, en particulier la liste des 140 exportateurs marocains implantés au Sahara occidental qui sont agréés au titre de l’accord d’association avec l’UE !

(Voir les entreprises et les produits concernés sur le site de WSRW).

Sans compter que depuis l’annulation de l’« accord agricole » de 2012, aucun produit du Sahara occidental ne devrait être exporté vers l’Union européenne. Les violations sont cependant nombreuses. Tout dernièrement, la livraison, à Fécamp, d’huile de poisson venant du territoire occupé par le bateau Key Bay a attiré l’attention du public et des médias (voir l’article : « Et l’huile de poisson ? »).

Mise en garde aux entreprises françaises et internationales en activité au Sahara occidental

En parallèle à la plainte du Front Polisario auprès de la CJUE, deux procédures dans des tribunaux nationaux sont en cours :

  • En France, à Tarascon, le syndicat de la Confédération Paysanne a engagé le 18 janvier 2013 un recours sur le terrain de la concurrence déloyale contre l’entreprise Idyl qui exporte des fruits et légumes depuis le Sahara occidental. Le Tribunal de Tarascon, saisi d’un problème de droit européen, a la possibilité d’interroger directement la Cour de Justice de l’UE à ce sujet (procédure en cours).
  • Au Royaume Uni, contre ces accords UE-Maroc, Western Sahara Campaign (WSCUK) a porté plainte contre deux services publics, le Département pour l’environnement, les affaires alimentaires et rurales (DEFRA) et le fisc britannique (HMRC). Le 20 octobre 2015, la Haute Cour de justice a validé cette demande et jugé que des questions devraient être adressées à la CJUE quant à la validité de cet accord au regard de la loi de l’Union européenne. Le juge a suggéré qu’il était défendable de parler d’erreur manifeste dans l‘interprétation du droit international par la Commission européenne !

En juin 2015, Mahmed Khadad, membre du Secrétariat national et coordinateur avec la Minurso, adresse une mise en garde solennelle aux entreprises : « Nombre d’entreprises ont cru pouvoir développer leurs activités au Sahara occidental en fonction d’autorisations marocaines, au motif que le Maroc serait « administrateur de facto”. Or aucun texte de droit international ne donne un contenu à la notion d’ »administration de facto”. Il rappelle également que depuis l’adhésion du Front Polisario en juin 2015 aux Conventions de Genève, c’est maintenant le droit international humanitaire qui régit les relations entre le Royaume du Maroc et le Front Polisario. Le Maroc est une puissance occupante et ne peut exploiter les ressources naturelles du Sahara occidental sans l’accord du Front Polisario, représentant légitime du peuple sahraoui.

Un exemple récent

Début octobre, Lifosa, qui avait renoncé en février 2016 à importer illégalement du phosphate du Sahara occidental, reçoit à nouveau une livraison en provenance de Fos Bou Craa. Par courrier, le gouvernement de la RASD lui rappelle le 4 octobre le risque juridique particulier des entreprises européennes impliquées dans l’importation des ressources du Sahara occidental, à la lumière de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne.

Il est intéressant de voir que dans un cas similaire, celui des territoires occupés palestiniens, le gouvernement français publie ce « conseil » sur le site France Diplomatie : « La Cisjordanie, Jérusalem-Est, la bande de Gaza et les hauteurs du Golan sont des territoires occupés par Israël depuis 1967. Les colonies sont illégales en vertu du droit international. En conséquence, il existe des risques liés aux activités économiques et financières dans les colonies israéliennes. » Qu’attend la France pour faire de même concernant le territoire occupé du Sahara occidental ?

Quelles conséquences pour la plainte du Front Polisario contre l’accord de pêche ?

Pour cette procédure, la réponse de Maître Devers est très claire : « Le Protocole de 2013 à l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche de 2006 n’est pas un traité de libre-échange, mais un accord qui organise l’exploitation des ressources naturelles du Sahara occidental par les pêcheurs de l’UE. Sur la base de cet accord avec le Maroc, les navires de l’UE pêchent dans les eaux sahraouies et exploitent directement les ressources halieutiques relevant de la souveraineté permanente du peuple sahraoui. En fait, les deux tiers des navires de l’UE autorisés à pêcher par le présent accord UE-Maroc opèrent exclusivement dans les eaux sahraouies.

En tant que seul représentant du peuple sahraoui pour l’exercice de son droit à l’autodétermination, ce qui inclut son droit à la souveraineté permanente sur ses ressources naturelles, le Front Polisario est nécessairement concerné par les activités de pêche des navires de l’UE dans les eaux sahraouies » (http://www.wsrw. org/a105x3584).

Et maintenant ?

Quel que soit le jugement rendu par la CJUE en cette fin d’année, désormais, les institutions européennes devront se confronter à la réalité : le Maroc occupe le Sahara occidental, il ne l’administre pas légalement. L’UE devra appliquer le droit international, comme le font d’autres États (les États-Unis, mais aussi l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse au sein de l’AELE) qui commercent avec le Maroc en excluant le Sahara occidental de leurs accords.

Pour sa part, José Bové annonce que « L’UE devrait sans tarder prendre les mesures adéquates pour qu’aucun produit provenant du Sahara occidental n’entre illégalement sur le marché de l’UE en tant que produit marocain. »

Les décisions de justice rendues jusqu’à ce jour rappellent toutes que le Front Polisario et le peuple sahraoui exercent la pleine souveraineté sur les ressources naturelles du Sahara occidental. Il deviendra de plus en plus difficile pour le Maroc de s’opposer à ce droit international. Et l’on peut espérer, comme le fait remarquer Gilles Devers dans son entretien à WSRW qu’« en privant le Maroc des avantages économiques générés par son occupation illégale du Sahara occidental, l’avis de l’avocat général ouvre la voie vers l’autodétermination. »

Et l’huile de poisson ?

L’association Western Sahara Resource Watch (WSRW) a donné l’alerte début septembre, lorsque le Key Bay a chargé une cargaison d’huile de poisson à El Aïoun, puis s’est dirigé vers le port de Fécamp. C’est le groupe Olvéa qui aurait reçu le 15 septembre cette cargaison d’huile de poisson.

APSO (Amis du Peuple du Sahara Occidental) a interpellé la direction régionale des douanes du Havre le 9 septembre, et Un camion-citerne pour les Sahraouis, association du Havre, a adressé le 28 septembre 2016 au Président du groupe Olvéa le courrier ci-dessous :

Monsieur le Président du groupe Olvéa,
Le 15 septembre dernier, le tanker Key Bay (armement norvégien sous pavillon de Gibraltar) venant du port d’EL AYOUNE (Sahara occidental) a livré à votre groupe de l’huile de poisson.
Les douanes françaises n’ont pas, semble-t-il, contrôlé la provenance de cette cargaison, ce qui aurait permis d’en certi er l’origine.
Les côtes du Sahara occidental sont très poissonneuses et il est probable que tout ou partie de l’huile fournie a été fabriquée à partir de pêches effectuées dans ses eaux territoriales.
En 2012, l’État marocain a signé un accord avec l’Union européenne permettant des échanges commerciaux en les exonérant d’un certain nombre de droits de douane.
Le Front Polisario, seul représentant du peuple sahraoui reconnu par l’ONU, a alors déposé une plainte pour faire annuler cet accord, accord dénoncé par le Tribunal de l’Union Européenne par arrêté du 10 décembre 2015. En effet, le Sahara occidental, occupé illégalement par le Maroc selon les critères de la législation internationale, ne peut être inclus dans l’espace concerné par l’accord UE-Maroc.

Le navire citerne Key Bay, chargé d’huile de poisson en provenance d’El Aïoun, dans le port de Fécamp le 16 septembre 2016.

 Après le pourvoi en appel de la Commission européenne, l’avocat général de la Cour de Justice de l’Union a rappelé dans son avis du 13 septembre 2016 que le territoire du Sahara occidental ne pouvait et ne devait pas être inclus dans l’accord.

Nous nous sommes permis ce long rappel :
 pour vous informer d’abord de cette situation qui porte tort à la population sahraouie entière. Du fait de l’occupation marocaine, elle n’a pas accès aux richesses de son territoire et s’en trouve privée,
- pour qu’ensuite vous teniez compte de cette situation pour respecter les règles internationales qui permettront aux Sahraouis eux-mêmes de décider de l’organisation de l’exploitation de ces mêmes richesses. Signature d’un camion-citerne.

Le site du journal Libération s’est fait l’écho de cette bataille juridique pour la souveraineté du peuple sahraoui sur les ressources du Sahara occidental : “L’huile de poisson, arme juridique des Sahraouis”, www.liberation.fr/planete/2016/09/16/ l-huile-de-poisson-arme-juridique-des-sahraouis_1498405


Sahara Info – 170/171
Janvier 2016 à novembre 2016
40 ans, résistance et solidarité p.6-7