UNE SEMAINE COMME LES AUTRES ?

Chaque année depuis combien d’années ? Je prends le chemin de Tindouf et des campements sahraouis pour renouer le fil d’une conversation interrompue pendant quelques mois…
Les raisons de se rendre à Tindouf furent nombreuses et variées, l’ultime et commune raison étant sans doute de se retrouver au milieu d’amis chers qui prennent de plus en plus et de mieux en mieux soin de vous. Depuis longtemps j’ai préféré laisser la parole à d’autres pour raconter ce voyage, initiatique pour certains et perturbant pour d’autres. Cette année mon retour coïncidant avec la publication d’un Sahara info après une semaine riche en rendez-vous et événements, cette situation m’a décidée à proposer au journal une petite chronique.

Avant d’aller à Tindouf, je me suis arrêtée trois jours à Alger pour participer à une réunion européenne destinée à coordonner les solidarités humanitaires et politiques. Elle était cette fois-ci invitée par le CNASPS, comité de solidarité algérien avec le peuple sahraoui. Les responsables du comité déployèrent tout leur savoir faire pour bien nous recevoir et témoigner de la chaleureuse solidarité, de la société civile algérienne, en faveur des Sahraouis. Militants, maires d’Alger et de Ben Aknoun, parlementaires, Président du Croissant rouge algérien et bien d’autres étaient présents pour dire leur engagement à soutenir le droit à l’autodétermination des Sahraouis.

Ces situations nous les connaissons bien qui se reproduisent régulièrement à l’occasion des conférences européennes ou atmosphère bon enfant et protocole coexistent sans problème où surtout se reforgent les énergies et les courages pour poursuivre une lutte que chacun sait juste mais difficile et devenue si longue.

Ce qui est différent à Alger c’est la présence attentive, nombreuse de la presse, écrite et radio télé.

Cette affaire du Sahara est prise très au sérieux par les médias algériens, proches du pouvoir ou indépendants. Elle reste centrale dans les préoccupations de politique étrangère et dans l’appréciation de la place de l’Algérie au Maghreb.

Il faut par ailleurs souligner, c’est quelquefois oublié, que le soutien aux Sahraouis, à la RASD est sans équivoque en Algérie. Il n’est pas toujours et partout sur toutes les lèvres mais reste une référence commune et une position de principe partagée.

Le passage à Alger permet aussi les rendez-vous et les échanges. Avec le premier secrétaire de l’Ambassade de France attentif à écouter ce que des militants peuvent dire de leur conviction à soutenir les Sahraouis, à connaître l’évolution des campements, à tenter de percevoir des évolutions de point de vue. Avec l’évêque d’Alger, Monseigneur Tessier, qui ne manque jamais de recevoir les voyageurs de Tindouf, c’est pour lui aussi s’informer de la situation, des engagements humanitaires des ONG proches de l’église comme le CCFD, tout en gardant une position retenue propre à sa charge. Quelques autres rendez-vous, relais amicaux et professionnels pour organiser les actions solidaires via l’Algérie.
Quelquefois l’Ambassade sahraouie à Alger nous ouvre ses portes pour un thé, une discussion. Cette fois-ci le nouvel ambassadeur Brahim Ghali nous régala d’un vrai méchoui, avant – goût des fêtes dans les campements.

Le voyage vers Tindouf a pris depuis quelques mois un coup de neuf ! Fini les vols domestiques aux conditions incertaines, vive le nouvel aéroport national, résultat de la rénovation de l’aéroport international. C’est plus grand et plus confortable ! L’aéroport de Tindouf, lui n’a pas changé, petit bâtiment saharien, où il fait bon se retrouver dans une ambiance bon enfant où très vite chacun se reconnaît. Un perfectionnement important a été introduit cette année, le tapis roulant pour les bagages roule vraiment !

Le bonheur de se retrouver à Tindouf avec les amis et les groupes solidaires

Avec ce vol très chargé de Sahraouis et de groupes de jeunes espagnols, nous arrivons vers trois heures. Les voitures du protocole ou les voitures privées se pressent pour prendre les voyageurs et vite rejoindre les campements à une heure ou personne ne souhaite s’attarder.

Nous rejoignons Tifariti, village de la province de Smara, accessible par une route goudronnée, où « le goudron », progrès pour les hommes et les voitures, explique le grand développement de cette willaya (province) et permet aux habitants de circuler avec toutes les voitures possibles et de développer activités et échanges.

C’est l’ancienne maison de Nouara actuellement habitée par sa nièce qui m’y accueille chaque année, depuis le départ de sa tante en Espagne. J’y ai depuis longtemps mes habitudes, cette maison étant devenue au fil des visites et des années une des étapes amicale des francophones. Nouara est partie comme quelques autres en Espagne. Un choix douloureux c’est certain tant cette femme engagée, militante de la première heure avait sa place ici. Un mari malade, des enfants pour lesquels on cherche un avenir, une lassitude qui s’accumule et qui un jour vous étouffe et un second exil s’impose avec une autre existence à reconstruire dans un pays qui n’est toujours pas le sien. Mais Nouara comme les autres revient dès qu’elle le peut respirer l’air de la hamada devenue au fil du temps patrie de substitution.

C’est mercredi, milieu de semaine, le temps n’est pas au beau et le ciel plombé de nuages nous cachera le soleil une bonne partie de la semaine. Dommage pour la jeune femme qui m’accompagne venue pour les premiers repérages d’un film sur la mémoire, elle ne verra pas de belle lumière, plutôt des nuages et du sable.

Le premier jour on se repose, on prend ses marques et on établit « son programme » et les premiers contacts à prendre. Mohamed Mahmoud et Adou El Hadj, amis et interprètes, s’y emploient comme à leur habitude et font en sorte que cette semaine se passe au mieux comme nous le faisons les uns et les autres quand eux ou d’autres viennent accompagner les enfants sahraouis chaque été. Jeudi, le premier rendez-vous est au plus proche. Dans la commune voisine, Haouza village jumelé depuis 1982 avec Le Mans. J’ai besoin de rencontrer le maire, les enseignants de l’école primaire qui est en cours de rénovation et de rééquipement. Avec l’Autriche qui avait construit ces classes en bois dans les années quatre-vingt, la ville du Mans s’est employée à les rénover depuis deux ans. C’était urgent tant les conditions de travail pour les enfants et les enseignants étaient devenues précaires. C’est beaucoup mieux aujourd’hui mais une partie du mobilier a encore besoin d’être remplacé. Ce sera fait en avril avec l’arrivée de la nouvelle caravane mancelle et la suite du mobilier scolaire stocké au Mans, donné en 2006 par le Collège du Sacré-Cœur.

D’autres projets sont en préparation dans ce cadre des relations bilatérales entre un village du sud exilé depuis trente ans et une ville du « Nord ». Un dossier proposé à la région Pays de Loire va permettre d’équiper l’école primaire d’une bibliothèque suivant la volonté des enseignants et d’améliorer pour quelques jours l’alimentation des enfants qui viennent bien souvent à l’école le ventre creux.

Le maire nous parle des personnes âgées de la commune. Trente deux ans sur la hamada de Tindouf, dans un exil certes maîtrisé mais difficile, laisse des traces et abîme les corps comme les esprits. Le maire a dénombré 110 personnes âgées

qui ont besoin d’aide et sollicite Le Mans pour l’aider à leur faire une vieillesse plus douce, rénovation de leur habitat, climatisation, meilleure alimentation tout semble nécessaire ! Je m’engage bien sûr à transmettre, à informer non seulement les élus du Mans mais les Manceaux qui ne peuvent rester insensibles à ces nouvelles difficultés liées à la durée de l’exil et à la difficulté d’imposer l’autodétermination à la partie marocaine.

A Haouza, le maire se préoccupe d’améliorer la vie des personnes agées

Le maire nous invite sous une des belles tentes du village pour discuter autour d’un bon repas.
Son déroulement en est assez classique et modeste. On commence par se faire passer une écuelle de lait, autrefois lait de chamelle, aujourd’hui de chèvre ou de poudre de lait diluée, premier rafraîchissement de l’invité avant de boire les trois thés. Le repas peut alors commencer avec les plats installés sur de petites tables basses où chacun se sert à sa guise, salades, frites et viandes en sauce, aujourd’hui du chameau. Khatri Adou, le nouveau wali (gouverneur) de Smara nous rejoint pour déjeuner avec nous et prendre quelques instants de repos dans sa nouvelle existence de wali un peu suractive à son goût ! C’est une très bonne surprise car nous nous connaissons de loin. Il est venu au Mans en 1982 pour signer le contrat de jumelage puis en 1986 pour accompagner l’équipe de foot sahraouie qui participait à un tournoi des villes jumelées avec Le Mans.

C’est tout le plaisir de retrouver « des vieilles connaissances » revues épisodiquement avec lesquelles les souvenirs peuvent s’égréner et hospitalité oblige, avec lesquelles s’échangent tant de congratulations ! Avec Khatri on évoque surtout les artisans du jumelage, l’ancien maire du Mans Robert Jarry et « les deux Jeanine ». Il se souvient avec émotion de l’expression, bien connue des Manceaux, qui désignait dans les années quatre-vingt-dix les deux adjointes très proches du maire, Jeanine Haudebourg et Jeanine Rouxin.

On revient au présent pour avec le maire préciser les demandes et préparer courriers et dossiers. Le soir nous partons vers El Aïoun et Aoussert par la piste. Je dois rencontrer très vite les responsables de la bergerie d’El Aïoun. Le projet est ancien, financé depuis 1991 par le CCFD (Comité Catholique contre la faim et pour le développement) et le ministère français des Affaires étrangères. Il a commencé avec le financement de la mise en culture d’une vingtaine d’ha dans la willaya d’El Aïoun qui installée en partie dans le fond d’un oued, dispose d’eau douce à faible profondeur. Creusement de puits, construction de murs en banco, mise en terre de parcelles, le travail a été important et a permis du maraîchage en parcelles irriguées, aujourd’hui en serres et l’installation d’une bergerie avec production de fourrages.

Le projet est pérennisé depuis 1991 par la volonté des Sahraouis attentifs à produire des légumes et à préserver un petit cheptel même en année sèche, la fidélité du CCFD les accompagne ainsi que l’engagement financier du ministère français attentif à aider dans ce cadre à l’alimentation des campements. Les deux techniciens que je retrouve ont d’autres ambitions, développer de nouveaux savoirs faire en matière d’élevage et apprendre aux Sahraouis le goût du travail de la terre. Ce qui n’est pas facile! Mais nécessité fait loi, à preuve les jardins familiaux qui se développent et qui permettent aux familles de diversifier leur menu par leurs propres moyens.

Islem et Mouloud, les deux techniciens de la bergerie travaillent depuis trois semaines en bonne entente avec un agriculteur français, ancien berger en Normandie qui a laissé la France et ses facilités pour rechercher autre chose, se mettre au service d’un peuple, d’une cause. C’est aussi ces rencontres qui font la richesse d’une telle semaine !

Le wali (gouverneur) d’El Aïoun qu’il faut également rencontrer pour le suivi du « projet » n’est pas sur place. On le trouvera en repartant par la

piste, de nuit, vers Aoussert, au pied d’une grande dune, dans un lieu pour moi très improbable, au milieu d’une centaine d’étudiants espagnols venus pour la première fois, accueillis dans le désert sous trois belles tentes bédouines montées là pour un soir et pour faire la fête !

Vendredi, le dimanche ici, on s’accorde un peu de temps pour les retrouvailles avec les amis qui ont jalonné les différents moments des solidarités. Anciens étudiants et institutrices venues en formation en France, anciens représentants, jeunes en formation de français avec AGIR abcd, Nana Rachid poétesse sahraouie venue au Mans pour le salon du livre consacré aux peuples du désert et dont nous allons bientôt éditer l’œuvre poétique en français. On va de l’un à l’autre, on se congratule et on boit le thé tout en s’amusant avec les enfants qui grandissent.

Samedi, début de semaine, il faut reprendre les rendez-vous. Avec Mohamed Mouloud, le secrétaire d’état à la jeunesse, comme souvent débordé de travail. Il prépare le marathon des sables qui commence le lendemain et travaille aux passeports collectifs des groupes d’enfants qui partiront cet été en Europe.

Les passeports pour les français ne sont pas encore prêts, puisque je viens avec les premières informations concernant nos capacités d’accueil, 100 ? 120 ? Les élections municipales dont nous attendons les résultats ne me permettent pas encore de trancher. C’est de toutes façons bien loin des performances espagnoles , 9000 enfants, dont les passeports commencent à s’accumuler.

Avec Salek Baba, ministre de la coopération toujours accueillant à des projets pourtant modestes à l’échelle des besoins des campements. Avec Abba, juriste et militant de l’AFAPREDESA dans son grand local donnant à voir avec l’expo et la bibliothèque la tragique histoire des Sahraouis soumis à l’occupation marocaine. Histoire des disparitions, des arrestations et des tortures que l’association essaie depuis 20 ans de reconstituer. J’y retrouve deux des derniers voyageurs arrivés par l’avion du vendredi, Claude et France, « l’ancienne des campements » et « la nouvelle » qui va tout découvrir avec passion.

Avec la ministre de l’éducation qui plaide auprès de moi le développement de l’enseignement du français pour les jeunes qui partent dans les collèges algériens.

Ce samedi soir est particulièrement important ! Le Président Abdelaziz aux côtés de son épouse, Khadija Hamdi, reçoit tous les Français présents dans les campements, sous sa tente au 27 février. Belle soirée d’échanges, de spéculations sur l’avenir et sur la suite des négociations. Personne n’évite de discuter de la position française toujours favorable au Maroc alors que tant de Sahraouis par leur histoire au croisement des confins sont francophones et francophiles !

La présence de « personnalités » pour la plupart créateurs du Polisario nous entraîne vers l’évocation des premières années, avec le souvenir des Sahariens comme Monod ou Beslay, vers le souvenir de Robert Davezies qui vient de mourir et surtout la présence presque tutélaire de Maurice Barbier, qu’Ould Salek son ancien étudiant évoque avec émotion tant son travail universitaire a été fondamental pour le Polisario.

Dimanche, c’est le grand jour pour Mohamed Mahmoud et l’association ASPECF (association sahraouie pour le développement des échanges culturels avec la France), car il inaugure à Aoussert la petite bibliothèque de français dans son centre culturel francophone, bien placé au centre de la willaya. Tous les Français sont là, les membres de l’ASPECF et bien des personnalités comme la ministre de la culture, celui de l’information, des responsables de la willaya, de l’UJSARIO et Khalil Mhamed, ministre des territoires occupés, président d’honneur de l’ASPECF. La cérémonie est très bien menée, chacun rivalisant de belle langue et de beaux discours pour exalter tout à la fois la culture et la fraternité. Et ce n’était pas ce jour – là que des mots creux car ce petit centre modeste est le fruit de bien des efforts, de ténacité et un des exemples qui témoigne du développement dans les campements d’une société civile qui prend initiatives et responsabilités. Longue vie à cette bibliothèque que les responsables de l’association ont souhaité baptiser « Annick Miské Talbot » en souvenir de l’amie de la première heure du peuple sahraoui décédée l’année dernière.

Les deux jours qui suivront seront de fête, celle du Marathon où trois Français pour la première fois participent entraînés par l’enthousiasme de Marie et celui de la célébration du 32e anniversaire de la RASD. Les deux jours se passent à Smara, dans un déploiement de foules et de musiques où se mêlent sahraouis, européens, africains venus participer à la course ou simplement soutenir et admirer. Le temps n’est pas très beau mais au moins le premier jour le sable ne perturbe pas la course et aucun marathonien ne se perdra comme c’est arrivé à cinq d’entre eux l’année dernière.

Le lendemain au contraire jour anniversaire, le sable participe de la fête, refroidit le temps et emmène dans un tourbillon de vent et de poussière les enfants qui défilent, chaque daîra et chaque école présentant son défilé. Le sable ne nous empêche pas de comprendre le message ! La plupart des enfants sont habillés de treillis et défilent pour certains avec des armes de carton.

Message pour le Maroc et le Conseil de Sécurité, message pour la population? Les enfants ainsi vêtus sont-ils chargés de dire au monde la volonté d’un peuple décidément pas prêt à s’abaisser devant son occupant ?

Avec la nuit le sable s’est calmé et a laissé un peu de place à une belle soirée de musique et de chants et danses traditionnels qui peu à peu se sont estompés à mesure que je m’éloignais des campements pour rejoindre Tindouf et l’aéroport.

Régine Villemont, février 2008


Sahara Info 141 142
Octobre 2007 à mars 2008