La formation d’enseignants de français pour les collèges des campements de réfugiés sahraouis (2013-2014)

Des réfugiés et un État en exil proclamé il y a 39 ans !

 Les réfugiés sahraouis sont installés au Sud-ouest de l’Algérie, dans la région dite « hamada de Tindouf » depuis 1976. Ils y ont proclamé leur État en exil le 27 février 1976 et, depuis cette date, s’efforcent d’améliorer les conditions de vie d’une population réfugiée et de faire le meilleur emploi de l’aide humanitaire.

Comme leur pays avait été colonisé par l’Espagne, les responsables ont choisi la langue espagnole comme première langue étrangère, apprise dès l’école primaire. Les rapports entre les campements de réfugiés et l’Espagne se sont, au fil des années, intensifiés et ont favorisé un large usage de l’espagnol chez les jeunes comme chez les adultes.

Cependant la langue française est incontournable. C’est la deuxième langue au Maghreb et la langue étrangère apprise en Algérie dès l’école primaire. Ce dernier aspect concerne directement les responsables sahraouis de l’éducation et les familles, puisqu’une très grande majorité des élèves du primaire partent en Algérie terminer leurs études. Une tolérance sur cet enseignement, facultatif pour les élèves sahraouis, a longtemps dispensé de trouver des solutions. Mais la mauvaise connaissance du français est devenue pénalisante pour la poursuite de certaines études universitaires et pour les contacts avec l’extérieur. Aussi, la Ministre de l’Éducation de la RASD, Mme Mariam Salek, s’est-elle attelée au problème en essayant de recruter des enseignants de français pour les classes de collège qu’elle commençait à mettre en place. Elle ne partait pas de rien ! Plusieurs expériences d’apprentissage du français existaient : classe primaire franco-hassanya dans le Camp du 27 février (devenu camp de Boujdour), pilotée par le Comité Limousin de Solidarité avec le Peuple sahraoui, cours de français dispensés par l’association AGIRabcd Bourgogne (voir ci-dessous), cours de français par l’association CASIA etc. Une forte minorité de francophones existe dans les camps, qui entend bien préserver sa spécificité. L’AARASD les y a aidés en appuyant la création d’une association, l’ASPECMF (Association sahraouie pour la promotion des échanges culturels avec le monde francophone), destinée à promouvoir les échanges culturels entre la France et les campements.

C’est dans ces conditions que l’AARASD, avec l’appui au départ de l’association AGIRabcd, a réagi positivement aux demandes du Ministère de l’Education pour participer à la formation d’enseignants sahraouis de collège, pas assez nombreux compte tenu des besoins et insuffisamment formés. Trois conditions ont prévalu pour organiser cette formation :

  • La formation se déroule dans les campements avec les formateurs sahraouis de l’association ASPECMF, MM Mohamed MAHMOUD et Hadou ELHADJ, et en collaboration avec le Ministère.
  • La formation dure deux ans, un an pour la langue, un an pour la formation professionnelle et les enseignants stagiaires qui en bénéficient s’engagent à enseigner au moins 3 ans.
  • L’AARASD intervient à double titre, elle assure la prise en charge financière de la formation et recrute des bénévoles formateurs chargés d’aider à l’élaboration des programmes et d’évaluer la formation et les enseignants-stagiaires.

L’enseignement du français dans les camps de réfugiés sahraouis : historique

Plusieurs initiatives pour contribuer à l’enseignement de la langue française dans les camps de réfugiés sahraouis ont été développées au début des années 2000, dans des optiques diverses. L’objectif de former des enseignants sahraouis pour qu’ils apprennent le français aux élèves a été choisi alors par l’Association Kareen Mane : les interventions de sa présidente, Danièle Mane, et celles d’Elisabeth Peltier – dans le cadre de l’association puis de manière autonome – ont visé d’abord l’encadrement du français dans les classes primaires.

Après la création de plusieurs collèges dans les campements, les responsables sahraouis ont voulu concentrer l’effort à ce niveau. En 2009, l’association AGIRabcd Bourgogne, qui assurait depuis 2003 des sessions de français dans les campements en partenariat avec l’UJSARIO, a bâti le premier projet de formation d’enseignants de français pour le collège avec le Ministère sahraoui de l’Enseignement et de l’Éducation. La ministre était déjà Mme Mariam Salek et le suivi du projet était confié à M. Hamadi Belaïd ; pour AGIRabcd, c’est Monique Roussel qui assurait la coordination.

L’association a envoyé des intervenants pour des sessions de 4 semaines, deux fois par an, jusqu’en octobre 2011, sauf en 2010 où la deuxième session a été remplacée par un stage au Centre international d’Études françaises (CIEF) de Dijon, financé par le SCAC de l’Ambassade de France en Algérie. En 2011, un effort particulier a été consacré au local et à son équipement : une salle dédiée au français a été complètement réhabilitée dans le Centre de formation pédagogique appelé « École du 9 juin » et deux bibliothèques fermées ont été acquises pour accueillir une dotation d’environ 250 livres pour la formation en français. Le financement a été assuré essentiellement par le SCAC de l’Ambassade de France à Alger, le Conseil régional de Bourgogne, l’Association Kareen Mane et AGIRabcd.

Les stagiaires dans la salle rénovée, en octobre 2011

Après la session d’octobre 2011, la formation des enseignants de français devait se poursuivre sous la responsabilité d’un formateur sahraoui. Cette première tentative a échoué, mais elle a ouvert la voie au nouveau dispositif qu’a pu mettre en place l’AARASD, quand elle a pris le relais d’AGIRabcd au début de l’année 2013.

Le démarrage du projet en janvier 2013

Un groupe de travail s’est réuni du 13 au 18 janvier 2013 pour élaborer ce projet de formation. Le groupe était composé 6 membres de l’AARASD, Régine Peluau, Yvette Touzeau, Pierre Toutain, Régine Villemont, Josette Jussaume et Monique Roussel. Son expérience de plusieurs sessions de formation de français dans les campements avec l’association AGIRabcd Bourgogne nous a permis de mieux définir les contours de notre projet. Un représentant du Ministère de l’Enseignement sahraoui, Mohamed Fadel Ammi Didi.

Nous avons examiné le fonctionnement de l’enseignement dans les collèges des campements, les demandes formulées par le Ministère concernant les besoins en enseignants de français et les possibilités de l’AARASD, compte tenu de ses capacités humaines et financières.

Nous avons ensuite travaillé sur les manuels utilisés dans les différentes classes des collèges. Il s’agit de manuels algériens qui proposent des progressions de travail bien articulées. Les participants ont cependant insisté sur la nécessité de compléter l’usage de ces manuels par d’autres documents, pour diversifier l’approche de la langue française, comme les poèmes, les chansons, les romans etc..

Une première mission dans les campements, de deux semaines, en février 2013 était prévue pour faire un état précis de la situation de l’enseignement du français dans les collèges des différentes willayas. Cette mission devait concerner l’ensemble du groupe des formateurs. Elle a été réduite à deux personnes compte tenu de la situation sécuritaire : Régine Villemont et Pierre Toutain.

Au cours de ce séjour, ils ont rencontré Madame la Ministre de l’Éducation et un des responsables de la formation au Ministère, M.Hamadi Belaïd. Il a été convenu de lancer le projet avec un premier stage expérimental, d’avril à juin 2013, qui permettrait d’apprécier en direct la « faisabilité » du projet.

Un premier stage dit « expérimental »

Le stage expérimental a concerné 12 stagiaires et a été mené dans le cadre d’un partenariat entre le Ministère sahraoui de l’Education, l’AARASD et l’ASPECMF (Association Sahraouie pour la Promotion des Echanges Culturels avec le Monde Francophone).

Une Convention signée entre les parties a permis de bien préciser les rôles de chacun. Le Ministère met à disposition son centre de formation, l’AARASD apporte son soutien financier, avec l’aide d’AGIRabcd, et des bénévoles pour l’évaluation du stage, l’ASPECMF assure la formation des stagiaires avec 2 de ses responsables.

Le stage s’est déroulé de façon très satisfaisante, 3 membres de l’AARASD accompagnés par le représentant du Ministère ont pu l’évaluer positivement fin mai 2013. Une nouvelle convention entre les 3 partenaires a été élaborée en juillet 2013 : elle met sur pied une formation s’étalant sur 5 ans, qui reprend pour l’essentiel le cadre déjà proposé en début d’année 2013.

Enseignants-stagiaires et formateur sahraoui découvrent les cassettes de comptines.

Formation en mai 2013

Les bénévoles enseignants français ont animé cinq journées de formation au centre pédagogique du «9 juin», à l’intention de 12 stagiaires (8 femmes et 4 hommes). Ces stagiaires étaient répartis en 2 groupes : le groupe A, de 6 élèves ayant un niveau de français plus avancé, et le groupe B comportant des élèves devant perfectionner leur niveau de langue avant de pouvoir enseigner. Les stagiaires ont pu découvrir la brochure éditée par les cheminots normands à propos de la caravane de solidarité organisée en mai 2013 qui a servi de base de travail. La première impression a été positive. Les stagiaires sont assidus et motivés, les cahiers de leçons et ceux d’exercices tenus et corrigés régulièrement. Une évaluation de niveau a été mise en place : conjugaison au présent et passé composé des verbes du 1er et 2e groupe, accords de noms et adjectifs, vocabulaire, dictée, lecture orale et questions sur texte.

En novembre, les magazines semblent bien intéresser les enseignants-stagiaires !

Les constats à la suite de cette évaluation ont été encourageants ce qui a permis d’envisager la préparation de l’année scolaire 2013/2014 avec confiance. En juillet dernier, en France, les bénévoles enseignants ont pu travailler plus précisément certains points avec les deux formateurs sahraouis et leur donner des conseils de travail.

Le texte de la caravane solidarité support d’un exercice de lecture.

Formation en novembre 2013

En raison de la présence souhaitée des bénévoles enseignants français à Méhéris pour l’inhumation des dépouilles de disparus sahraouis, ils n’ont pas pu consacrer autant de jours que prévu auprès des stagiaires.
Ces mêmes enseignants ont poursuivi leur formation avec les mêmes stagiaires qu’en mai 2013. Un point a été particulièrement abordé : la qualité de l’oral. Pour ce faire, chaque stagiaire a reçu un lecteur de cassettes- audio et des cassettes. Ainsi peuvent-ils écouter des textes et chansons dits par des artistes français et parfaire leur diction. Ils ont aussi travaillé à partir de livres et magazines apportés de France par les bénévoles enseignants. Un après-midi a été consacré à la lecture et à l’explication d’un article paru dans Ouest France, suite au voyage effectué par une des bénévoles enseignantes au Sahara occidental dans la partie occupée, en juillet 2013. De petits sketches ont été écrits et joués par les stagiaires.

Une programme de travail personnel a été élaboré avec les formateurs sahraouis pour qu’ à la prochaine intervention des bénévoles enseignants français en mars 2014, les stagiaires fournissent des fiches de lecture concernant des ouvrages conseillés.

Janvier 2013 : Première réunion de l’équipe formation avec un représentant du Ministère sahraoui.

En perspective, une évaluation du niveau de langue, écrite et orale est prévue en juin. Elle permettra d’apprécier au plus près les acquis des enseignants stagiaires et de préciser pour l’année prochaine leur orientation. Poursuivre encore un an l’apprentissage de la langue ou suivre une formation professionnelle en alternance, mi-temps en collège et mi-temps au Centre de formation du 9 juin. Dès à présent le groupe des trois formateurs, Pierre, Yvette et Régine devant l’intérêt manifesté par leurs étudiants sont décidés à mener cette formation jusqu’à son terme.

Un système scolaire 
dans les camps de réfugiés ?

Dès la proclamation de la RASD, en février 1976, les responsables de la RASD et du Front Polisario se sont préoccupés d’éducation en même temps qu’il fallait poursuivre la guerre et trouver des solutions aux situations d’urgence : se nourrir, s’abriter et surtout enrayer l’épidémie de rougeole qui faisait mourir des dizaines d’enfants.

Un Ministère de l’Éducation est très vite constitué. Un enseignement de fortune est installé là où se trouvent les familles et les jeunes, mais pour les premières années c’est surtout l’organisation du départ des élèves et la recherche de pays d’accueils qui mobilise le Ministère. Les élèves quittent très jeunes leurs familles pour l’Algérie, la Lybie, Cuba et certains y resteront une grande partie de leur jeunesse, au moins pour ces premières générations. Leur départ et leurs études sont organisées et bien encadrées par des responsables du Ministère, dans chaque pays d’accueil. Ils sont si nombreux en Algérie, par exemple, qu’ils sont rassemblés au sein de mêmes classes dans les établissements scolaires du sud algérien. D’Algérie et de Lybie, ils reviennent aux vacances d’été, mais de Cuba le retour n’est possible que tous les trois ans. Premières générations bien éduquées malgré la dureté des premières années d’exil, mais élevées à la dure en dépit des efforts et de la générosité des pays d’accueil. Progressivement à partir des années 80, se développe une offre scolaire dans les camps de réfugiés. Divisés en quatre grands campements ou willayas (provinces), eux-mêmes organisés en daïras (villages) qui reproduisent, sur la hamada, le territoire du Sahara occidental, les campements, peu à peu, sont équipés de constructions scolaires.

Campement d’AOUSSERD / 15 avril 2009 / Fillette appliquée à ses devoirs. – J.P. LEPRI

Écoles construites en matériaux locaux ou préfabriquées comme les deux écoles primaires construites par l’Autriche. En même temps se développe le camp du 27 février qui est d’abord une école de formation, générale et professionnelle pour les femmes.

Un réseau scolaire maternelle et primaire complet existe en 1990 ainsi que deux internats, le collège du 9 juin et le lycée du 12 octobre pour les plus grands qui permettent de scolariser sur place davantage de jeunes. Mais pour la scolarité secondaire, une majorité part encore à l’étranger, principalement en Algérie. Les enseignants sont d’abord les volontaires plus instruits que d’autres ou déjà enseignants au Sahara occidental, puis ils seront formés à l’École du 27 février et en Algérie dans les instituts de formation des maîtres.

Le Ministère aujourd’hui compte des centaines d’enseignants, un système scolaire organisé avec inspecteurs, conseillers pédagogiques, administrateurs qui contribuent à la scolarisation de milliers de jeunes, depuis la maternelle jusqu’au collège. L’association des amis de la RASD et le Comité de la Sarthe ont contribué à la formation de 6 enseignantes de maternelle entre 1990 et 1995. Avec des bourses du Ministère des Affaires Étrangères, elles ont été accueillies à l’École Normale du Mans et ont suivi pendant deux années une formation d’enseignante de maternelle.

L’ambition de Mariem Salek, Ministre de l’Éducation est de développer la scolarisation en collège pour tous les élèves de sorte de retarder le plus possible leur départ vers l’étranger. Actuellement l’effort de construction ou de rénovation des bâtiments scolaires a permis de créer dans chaque willaya deux collèges comptant deux niveaux (pour nous 6e et 5e). C’est dans ce contexte que se situe notre projet de formation de professeurs de français. Le matériel scolaire, cahiers, crayons, livres, tables etc est fourni par l’aide humanitaire venant à la fois de l’Algérie, des grandes agences (HCR, ECHO) et d’aides plus modestes au niveau des daïras, dans le cadre des coopérations jumelage, par exemple ou missions particulières d’ONG.

La majorité des manuels viennent d’Algérie mais depuis quelques années, des équipes d’enseignants sahraouis s’efforcent de créer leurs propres manuels, ainsi en histoire-géographie, en espagnol. De la même façon des ateliers de menuiserie équipent désormais les classes en mobilier scolaire.

Le collège du 9 juin plusieurs fois réhabilité est devenu le Centre de formation des enseignants, c’est là que l’équipe franco-sahraouie travaille aux côtés de nombreuses autres formations. Efforts pour parvenir à l’autonomie avant le retour au Sahara occidental et à l’indépendance !

D’autres coopérations
 pour l’apprentissage du français

La classe de français crée il y a une dizaine d’années par le Comité Limousin de solidarité avec le peuple sahraoui, dans le Camp du 27 février (désormais willaya de Boujdour) a auprès des familles et des élèves un grand succès. Classe modèle qui assure aux élèves une double formation français, hassanya et les prépare bien au départ vers les classes secondaires algériennes. Les élèves invités l’été en Limousin par le Comité ont l’occasion de perfectionner leur français pendant leurs séjours dans les familles françaises qui les accueillent. Forte de cette réussite, le Ministère de l’Education sahraoui a ouvert cette année deux autres classes bilingues. Reste cependant le problème du recrutement de nouveaux enseignants bien formés.

L’association de jeunesse sahraouie, l’UJSARIO, s’applique aussi depuis plusieurs années à proposer des initiations aux langues étrangères. Anglais, français avec l’association CASIA (Grenoble et Annonay) qui vient d’ouvrir une classe de français pour les jeunes à Smara, hors temps scolaire (voir Sahara info n°162/163).

L’ASPECMF de son côté propose à Aousert une bibliothèque française et organise des cours, l’été en particulier, pour les étudiants qui rentrent dans les campements au moment des congés universitaires. Cette association dispose d’équipements construits et aménagés grâce à l’engagement de l’AARASD et du Conseil général du Val de Marne.


Supplément Sahara info 164/165
La formation d’enseignants de français pour les collèges des campements de réfugiés sahraouis (2013-2014)

Dossier sur l’enseignement du français dans les camps de réfugiés sahraouis